A MA MERE
Mère!...Comme ce nom est plein de douces choses!
Il me ramène au temps où joufflus, blonds et roses,
Bambins très innocents et très capricieux,
Nous vivions à plein cœur sous l'infini des cieux.
Moi j'étais batailleur, t'en souvient-il, ma mère?
Achille s'annonçait en moi plutôt qu' Homère;
Dans mes chevaux de bois et mes soldats de plomb,
D'un général j'avais la bravoure et l'aplomb
Je crevais des tambours et faussais des trompettes,
Et ne rêvais déjà que luttes et tempêtes.
Cette fougue depuis a grondé dans mes vers.
Mère! Tu résumais pour moi tout l'univers
Absente, il faisait nuit; présente, c'était l'aube.
Je te tenais toujours par le pan de ta robe,
Et quand je te perdais sur Villote, le soir,
En sanglots j'exhalais mon vaste désespoir.
Effaré, je voyais un spectre dans chaque orme,
J'écoutais chaque voix, j'observais chaque forme;
Enfin un promeneur me prenait par la main,
Et, touché, me disait avec un ton humain:
"Nous allons retrouver votre maman perdue,"
Et calmait par degrés ma douleur éperdue.
Quand je t'apercevais, quel ineffable émoi!
Mère, c'était le ciel qui descendait en moi.
Raoul LAFAGETTE