La demoiselle
(la guerre des demoiselles en Ariège)
En 1827, le gouvernement de la restauration décide donc de créer le Code Forestier, destiné à réglementer les coupes de bois pour permettre à la forêt de se régénérer. Ce code paraît nécessaire: en montagne, les racines des arbres retiennent la terre, luttent contre le ravinement,et maintiennent l'humidité des sols. Mais il va à l'encontre des chartes inaliénables accordées cinq siècles plus tôt par Roger-Bernard III. Par ailleurs, certaines personnes, les charbonniers à la solde des maîtres de forge, par exemple, obtiennent, moyennant finances, des coupes importantes de bois.
Aussi devant cette injustice, le sang des montagnards"ne fait qu'un tour" et la révolte latente au départ, va gagner peu à peu toute la zone boisée de l'Ariège, montagne et piémont Pyrénéen: c'est la "guerre des demoiselles"
Dirigée au début contre les maîtres de forge, cette révolte va, par la suite, viser également les forestiers chargés de faire appliquer le règlement. Jusqu'en 1870, les montagnards s'opposent ainsi aux tentatives de l'état pour redresser l'économie forestière en Ariège: bois brûlés, forêts dévastées, gardes assommés, ou privés quelques temps de l'usage de leurs doigts que l'on coince entre les lèvres d'une bûche fendue, charbonniers molestés, vont jalonner la vie de la montagne au cours de ces cinquante ans.
Mais d’où vient ce nom de "Demoiselles"?
Il semble qu'à l'origine, on ait donné ce surnom aux insurgés à cause de leur déguisement. Pour ne pas être reconnus des gardes forestiers, ces montagnards masquaient leur silhouette en sortant leur chemise du pantalon, se couvraient la tête d'un vieux foulard ou d'un chapeau, et barbouillaient leur visage à l'ocre ou au charbon de bois de façon à cacher leurs traits. Les villageois, apercevant ces silhouettes mystérieuses et fugitives dans les bois, auraient cru voir les"demoiselles des forêts", c'est-à-dire les fées,(las encantados) qui sont, bonnes ou mauvaises, des personnages fréquents de la mythologie pyrénéenne.
Par la suite les révoltés auraient revendiqué ce nom de "demoiselles" peut-être pour ridiculiser la troupe, appelée en renfort afin de mater la révolte.
Peu à peu, la population de l'Ariège diminue, les forges à la catalane se voient supplantées par les hauts fourneaux et la demande en bois s'amoindrit. Avec la fin du cantonnement des droits d'usage, en 1870, le code forestier peut enfin être appliqué, et le reboisement intervient. La guerre des Demoiselles prend fin elle aussi.
Extrait du livre de Max et Denise DEJEAN "L'Ariège d'autrefois"